Regardeur n° 5

Texte René Pons.

Le lien.

Lorsque je vois les peintures d’Anne Pons, je pourrais dire qu’il s’agit de peintures abstraites (mot flou s’il en est) dans lesquelles dominent des formes simples qui peuvent évoquer l’image d’un nuage, alors qu’elles sont générées par le geste rond du peintre. Ambiguïté : le peintre n’a pas pensé au nuage, mais son geste a créé une figure qui peut y faire penser.


Et c’est là, dans cette ambiguïté, que se situe l’intérêt de l’art en général et de ce travail en particulier, dans le processus de libres associations qui va tirer la forme simple vers toutes les évocations possibles. Bien sûr, ces toiles sont un jeu équilibré de couleurs et de formes, elles mettent en jeu une certaine matière, mais, au-delà, elles sont, non plus scrutées, mais regardées avec une attention flottante, quantité d’autres choses, à titre intime pour le regardeur, qui rejettent dans la coulisse les grandes explications techniciennes.
Je ne puis m’empêcher, regardant les peintures d’Anne, de penser à des paysages, et quand je sais qu’à côté de ses peintures, elle dessine sur le motif, quand je vois la belle série de dessins des gorges du Gardon, en forme de tondos encadrés, je retrouve dans ce dessin figuratif la même gestualité ronde à l’origine de ses toiles abstraites. Je comprends le lien qui unit dessin et peinture et je ne me pose plus la question de les classer l’une ou l’autre, dans telle ou telle catégorie : il n’y a pas antinomie entre le travail abstrait de l’atelier et celui, figuratif, du motif, mais complémentarité, même si cela n’est pas évident au premier coup d’œil. Dans certaines œuvres, d’ailleurs, abstraction et figuration, dessin et peinture se mêlent, dans une sorte de syncrétisme, comme si l’artiste tendait un fil entre les formes simplifiées de ses peintures et une réalité nommable et situable.
Si bien que ce travail, en apparence si simple, est à double sens : à la fois ancré à la terre et tourné vers une manière de méditation. Et sans doute les formes nuageuses des peintures abstraites sont-elles, même si seul le geste semble les provoquer, la résurgence inconsciente de ces longues heures de silence passées, sous le ciel, à dessiner des paysages. D’ailleurs dessiner sur le motif, dans le silence d’un de ces âpres déserts qu’aime Anne, n’est-ce pas, aussi, méditer ?
Comme l’écrivait le peintre Tchang Tsao : « À l’extérieur, je prends pour maître la nature, à l’intérieur, je capte la source de mon propre esprit. »

René Pons – Regardeur n° 5 du mois de juin 2010
( revue de l’AAMAC association des amis du musée d’art contemporain)